Baroudeur est un court métrage d’action à l’inspiration cyberpunk et dark fantasy, se servant d’une course poursuite pour emporter le spectateur dans la découverte sensible et esthétique d’un univers, une proposition de marier court métrage et clip pour que la frustration d’un récit court soit comblée par les sensations et la puissance d’un clip.
NARRATION
Pour raconter cette histoire, je me suis rendu compte que mes attraits esthétiques de déformation du réel afin d’exprimer une sensation par l’image, le son et la couleur se rapprochaient d’une démarche expressionniste. Dans chaque aspect du film, il y a cette volonté d’utiliser les procédés mis à ma disposition pour cadrer les éléments et les organiser afin de créer de la sensation : de la puissance, de l’urgence, de l’écrasement, de la frénésie. Dans l’exercice du format court métrage, je trouve que ces sensations sont plus aisément invocables que les émotions. Ces dernières nécessitent d’avoir créé suffisamment d’empathie avec les personnages et leurs histoires. Dans ce film, l’enjeu est de plonger le spectateur en immersion avec les personnages, pour qu’il puisse sentir leurs coups, leurs vitesses, et leurs perceptions.
À travers ces sensations, la question est de raconter l’affrontement de deux marginaux, tous deux oppressés et pourchassés, et de l’apprécier comme on pourrait apprécier une danse, une performance. C’est un clash convenu entre deux rivaux bien au courant des limites. Le faible enjeu de la course-poursuite accentue, par contraste, la menace existentielle des agents. Ces agents sont la représentation de la norme et d’un système d’oppression bien établi. Ils en profitent pour cibler seulement une partie de la marginalité, pour la diviser. À ce moment du film, la tension montera d’un cran pour faire se rejoindre nos deux personnages dans des enjeux qui les dépassent. L’idée est de dire que la marginalité est plurielle, et qu’elle s’affronte souvent, se déchire souvent, mais leur condition les force à la solidarité pour survivre malgré tout.
Pour cela, on marie un univers virtuel, présent dès la première scène du film, au réel. La plupart des récits de science fiction se concentrent à décrire le face à face entre réel et virtuel, le monde parallèle, et la recherche de ce qui est authentique. Ici, l’enjeu est de montrer que le virtuel est aujourd’hui ancré dans le réel, qu’il épouse ses contours, ses biais et ses enjeux. C’est un calque qui vit par dessus le réel, et nos personnages ne se cachent pas dans les univers virtuels, ils les explorent comme une contrée connue de tous.
DIRECTION ARTISTIQUE
La première scène du film se déroule dans un univers affilié à la dark fantasy. Il s’agit d’une esthétique propre aux vieux jeux vidéo, utilisant des couleurs froides, du brouillard, la nuit et la lumière tamisée dans un environnement purement numérique, à très basse résolution. Le tout représenté en 3D proche des premiers jeux en 3D, avec peu de polygones, peu d’éléments, et des textures instables sans relief.
Le reste du film peut s’apparenter à du cyberpunk, en reprenant des idées surréaliste comme le sonar, les couleurs froides et saturées, les câbles abondants, l’omniprésence du numérique, la surveillance étatique… Mais on y ajoute des éléments presque psychédéliques : les personnages ont une peau qui émet de la couleur fluorescente, les agents sont des créatures surréalistes, on se permet des téléportations presque magiques lors des combats. Beaucoup des pouvoirs de nos personnages ne sont pas expliquées ; ils sont simplement admis dans l’univers du film, comme des augmentations innées.
Le registre se situe entre la science fiction et le fantastique. On assiste bel et bien à des scènes surnaturelles, mais un certain ancrage dans le réel persiste, et nos repères ne sont pas pleinement chamboulés. La diégèse de film l’installe seulement 2 ou 3 décennies après nous. On explore donc le Lycamobile d’aujourd’hui, les câbles des caves de bâtiments qui abondent, l’éclairage nocturne à la led, dans un futur qui les a augmentés, qui a superposé ses avancées sans effacer les traces du présent.
IMAGE
L’utilisation des couleurs occupe une place centrale. Je souhaite créer un univers visuel où chaque élément est défini par une couleur saturée, vibrante, quasi fluorescente, créant une impression d’étrangeté ou d’intensité irréelle. Chaque objet, personnage et décor sera représenté dans une teinte unie, avec peu de nuances, pour offrir une esthétique qui évoque une sensation d’intensité pour chaque élément du cadre. On utilisera aussi la lumière passante pour transitionner entre plusieurs plans et scènes avec des procédés propres au clip.
Pour faire ressortir les corps qui émettent de la lumière, on utilisera la lumière noire. Par le maquillage et les tenues, on sélectionnera les couleurs qui seront affectées. Par l’étalonnage, les couleurs seront ensuite plus intenses, déformées, et altérées. Enfin, un travail sur le grain permettra de brouiller les hautes lumières. Ce grain se rapprochera d’un bruit numérique, extrêmement fin et voyant. Appliqué localement en fonction de la lumière du plan, il aidera à dessiner les cadres et à diriger l’oeil.
SON
J’ai fait le choix de ne pas avoir de dialogue pendant le film. Après plusieurs versions avec voix off, je me suis rendu compte que des paroles ne faisaient que décrire une action qui était déjà très claire visuellement. Ils sonnaient alors creux et amenuisaient l’expérience immersive. J’ai donc choisi de tout raconter par le visuel, la musique, et même le son.
La musique y joue un rôle primordial. Je souhaite qu’une ambiance spéciale ressorte à travers chaque lieu que l’on visite. Le but est de sublimer chaque lieu avec son thème musical, à la manière d’un RPG. À travers des nappes de trap, d’ambient, et de synthés KORG au son atmosphérique et complexe, j’aimerais associer une mélodie signature du film, quelques notes récurrentes qui se transforment et évoluent selon l’intensité de chaque scène.
Le tout n’aura la plupart du temps aucune batterie ou percussions. Seul des batteries dans la mouvance Drum n’bass viendront rythmer la course poursuite. Au contraire, les basses seront omniprésentes, souvent avec une 808 très distordue et saturée.
Chaque son aura la même tonalité, et un tempo proche (ou doublement proche). Je cherche ici à ce que les morceaux transitionnent de manière fluide et continue, à la manière d’un album. La musique, oscillant entre nappes synthétiques et basses saturées, agit comme un pouls collectif, une vibration commune aux protagonistes et à l’univers. Cette approche renforce l’idée que le spectateur doit “ressentir” autant que “voir”.
Par l’absence de batterie, nous aurons de la place pour avoir un sound design appuyé. Pour se faire une place dans un clip où la musique prend toute la place, le sound design est bien souvent exagéré, agrémenté de whoosh et de sonorités concentrées sur un élément de l’image : un bruit de pas, le bruit des vetements face au vent, une étincelle qui s’allume. Le sound design doit une nouvelle fois venir cadrer l’action, diriger le regard du spectateur pour maximiser les sensations de puissance des personnages.
MONTAGE
Le principal enjeu de montage est un enjeu d’accessibilité. Le but est de pouvoir regarder le film comme on regarde un clip : se laisser emporter par la musicalité, et se faire bercer par le ressenti instantané et presque performatif du film. Mais il doit aussi permettre de se concentrer réellement, et en saisir les subtilités, les détails qui fourmillent, l’univers qui est dépeint et la condition des personnages.
Pour cela, on agrémente le montage linéaire d’un film avec le montage dynamique d’un clip. Cela passe par des cuts en fouet, ou parfois des images subliminales de flou de mouvements viennent dynamiser un geste, ou encore un match cut qui joue sur la persistance rétinienne. À cela s’ajoute des ellipses voulues, qui brisent la continuité du montage pour téléporter un personnage, afin de lui conférer des capacités surhumaines de rapidité dans le combat.
En faisant ce film, j’organise l’ensemble de mes références, goûts esthétiques, et intuitions narratives dans un tout que je pense cohérent esthétiquement, et me permet enfin de mettre en scène un univers personnel. J’aimerais que mon film soit accessible, qu’un fan de trap, un cinéphile, ou même un adolescent perdu sur internet y trouve son compte. Que chacun vibre au rythme des corps, des couleurs et des basses saturées, une expérience où l’on peut projeter ses sensations dans un récit puissant et audacieux.